Il s’agissait alors de la dix milliardième application téléchargée depuis le lancement, en juillet 2008, de l’App Store d’Apple. Et la machine s’accélère: sur les seuls douze derniers mois, sept milliards de téléchargements ont eu lieu sur les 160 millions d’iPhone, iPod Touch et iPad dans la nature. Ce succès impressionne. Il inquiète, aussi. Aujourd’hui, plusieurs voix s’élèvent pour affirmer qu’Apple tue le Web à petit feu.
Il y eut d’abord Tim Berners-Lee, l’un des inventeurs du Web: «(Avec iTunes), vous n’êtes plus sur le Web. Ce monde est centralisé et entouré de barrières. Vous êtes emprisonné dans un magasin unique, plutôt que d’être sur un marché ouvert. Ce magasin a beau avoir des fonctionnalités merveilleuses, son évolution est limitée au bon vouloir d’une seule société», affirmait-il en novembre. Mi-janvier, Jimmy Wales, fondateur de Wikipédia, renchérissait, à propos du magasin d’applications d’Apple: «Quand vous possédez un appareil […] et que vous voulez acheter un logiciel, vous ne devriez pas devoir obtenir la permission de quelqu’un d’autre. Je pense que c’est très important. […] Les applications sont une menace à l’ouverture du système», affirmait-il.
Apple construirait ainsi une immense prison dorée, offrant à ses clients un espace clos où tout serait facile d’utilisation mais aussi sévèrement contrôlé. Contacté par Le Temps, Josh Bernoff, analyste chez Forrester, explique: «En fait, les applications augmentent la diversité des interactions possibles sur Internet. Mais plus les applications contrôlées par une seule société – que ce soient celles d’Apple ou de Facebook – sont répandues, plus cette société décide de ce qui est disponible. Si vous passez votre vie devant un écran d’iPhone, vous aurez une expérience moins variée que les gens qui utilisent un navigateur web. Et à la fin, cela pourrait limiter l’énergie mise par des développeurs dans des sites web.»
La menace est claire: moins de diversité. Les consommateurs en sont-ils conscients? «Ils s’en fichent, estime Josh Bernoff. Pour eux, les applications sont fun. Ils ne réalisent pas le défi posé en amont aux créateurs de contenu. Ils pensent juste qu’il est ennuyeux que leur iPhone ne supporte pas Flash, sans penser aux implications stratégiques plus globales.»
Contacté, Apple n’a pas souhaité réagir. Mais le 18 janvier, Tim Cook, remplaçant de Steve Jobs à la tête de la firme, défendait la simplicité de ses produits: «Nous croyons profondément que notre approche intégrée offre à nos clients une expérience nettement meilleure qu’une approche fragmentée. […] Notre approche enlève tout souci de complexité à l’utilisateur au lieu de le transformer en intégrateur de système.»
Apple défend son système fermé et contrôlé en expliquant qu’il garantit des logiciels de qualité à ses clients. Il défend aussi son modèle économique – une commission de 30% est prise sur toute vente de logiciel via ses magasins en ligne – en mettant en avant les success stories des développeurs. Ainsi, la semaine passée, Apple soulignait que l’éditeur du logiciel d’édition d’image Pixelmator avait dépassé le million de dollars de revenus après 20 jours de vente sur le Mac App Store d’Apple – preuve selon Apple que tout le monde y trouve son compte. Similaire à l’App Store (pour iPhone et iPad), le Mac App Store est un magasin central pour télécharger des logiciels sur son Mac. Déjà, certains craignent que la firme de Steve Jobs ne soit tentée, à l’avenir, d’imposer exclusivement ce canal de vente, afin de contrôler ce qui s’installe sur ses ordinateurs – et de toucher ces 30%.
Il y a des systèmes fermés. Et alors? écrivait mi-janvier Dan Frommer, journaliste à Business Insider: «Le système d’Apple est de loin la meilleure plate-forme mobile pour y faire du business. L’écosystème iTunes/iPod domine toujours. Facebook détruit Google dans le domaine des réseaux sociaux – alors même qu’il s’agit d’un monde fermé – et ses 600 millions d’utilisateurs se moquent de savoir que leurs données sont enfermées chez Facebook.»
Et Dan Frommer de pointer du doigt Google, qui parle sans cesse d’ouverture mais qui peine à convaincre. Car si son système Android pour téléphone progresse vite, Google se réserve le droit, a posteriori, de retirer des applications de son magasin en ligne. Et même si son système offre nettement plus de possibilités aux utilisateurs que l’iPhone ne le permet, il offre au final lui aussi une vision étriquée de l’Internet résumée à des milliers d’applications.
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